Recrutement : la restauration tire la langue
- Administrateur

- 24 juin 2022
- 3 min de lecture
C’est une ardoise placée à l’entrée de la terrasse d’un restaurant de la route de Vins. « La brasserie recrute serveur, commis de cuisine, extra pour salle. Débutants acceptés si motivés.»
Ces deux dernières années, en Alsace comme ailleurs, ce genre d’appels à candidatures a fleuri aux abords des établissements. Leur pendant numérique également. Dans le seul Haut-Rhin, plus de 10 000 offres d’emploi relatives à l’hôtellerie-restauration ont au total été déposées sur le site de Pôle Emploi entre avril 2021 et mars 2022.
« On a tous du mal à recruter, c’est de pire en pire », pose une professionnelle de Ribeauvillé. Avec la crise sanitaire et les confinements, le secteur a perdu une part non négligeable de ses effectifs. Et peine à les renouveler. « Il n’y a pas une rencontre professionnelle où le sujet ne vient pas sur la table », se désole Gérard Goetz, chef cuisinier et propriétaire de l’hôtel Chez Julien, à Fouday. S’il considère être « encore bien loti par rapport à certains », lui cherche du personnel compétent « dans tous les domaines : en cuisine, à la réception, en salle ». L’un des restaurants qui ne fermait que le mardi midi, l’est aussi désormais les lundi et mercredi. Alors même que l’hôtel fait le plein.
« Les bras et le moral flanchent »
Au restaurant Au Bœuf, à Soultz-sous-Forêts, qui multiplie les offres d’emploi sur sa page Facebook, la difficulté à recruter, en cuisine notamment, fait s’interroger le chef Cédric Rott. « Soit il faudra fermer un jour supplémentaire, soit il faudra se poser la question de revenir à une cuisine moins élaborée qui nécessite moins de personnel », songe-t-il. Pourtant, « on fait une belle cuisine, il a moyen de se faire plaisir».
Jours supplémentaires de fermeture, tables condamnées pendant les services, cartes rétrécies… en cette saison estivale 2022, les restaurateurs jonglent. « Aujourd’hui, l’enjeu n’est plus de maîtriser les coûts, c’est de trouver des gens pour travailler », pose Yoann Abitbol,à la tête de Bistrot et Chocolat, à Strasbourg. L’établissement proche de la cathédrale emploie normalement onze salariés en tout. Actuellement, il en manque trois. « On bosse comme des fous, on est à la petite semaine.Je n’ai jamais connu ça », décrit-il, décidé à
« tenir bon » même s’il l’avoue,« les bras et le moral flanchent». Tout récemment, ce restaurateur s’est résolu à fermer deux jours par semaine son établissement pensé pour ouvrir sept jours sur sept.
Au sein du groupe de restauration strasbourgeois Diabolo Poivre qui,
«hors saison », emploie plus de 200 personnes, « on a besoin de bras supplémentaires et c’est compliqué », livre Gilles Egloff qui se souvient d’une époque, avant le Covid, où l’« on avait le luxe de choisir nos collaborateurs ». Aujourd’hui, la candidature vaut quasiment contrat. Les équipes des différents restaurants ne sont « jamais vraiment au complet ». Et comme chez l’ensemble des établissements interrogés, « on est toujours à flux tendu.
« On doit fidéliser nos équipes comme on fidélise nos clients » « L’été s’annonce chaud », témoigne encore Emmanuel Delautre, gérant du restaurant Aux armes de Colmar qui fait état d’une concurrence entre établissements. Pour attirer les clients, évidemment, mais aussi, désormais, les employés. « Les salariés ne sont pas fous, ils savent qu’il y a une raréfaction de la main-d’œuvre et qu’ils ont la possibilité de se vendre au plus offrant. » Alors « les enchères grimpent ». Au-delà du recrutement de nouveaux éléments, les professionnels ont aujourd’hui une conscience aiguë de la nécessité de proposer des conditions aptes à retenir leurs équipes. « On doit fidéliser nos équipes comme on fidélise nos clients, considère Denis Zeiglin, gérant du restaurant Pop & Lino, à Strasbourg. Quand on a de bons éléments, il faut veiller à les garder. »
Innovation et remise en question Chez Diabolo Poivre, comme dans certains autres établissements d’une taille critique, les salariés ont, sauf exception, deux jours de repos consécutif, un emploi du temps fixe et pas de coupure,met en avant Gilles Egloff. D’autres essaient d’innover. À l’image du restaurateur Boris Keller, à Guebwiller, qui souhaite mettre en place deux équipes distinctes, l’une en début de semaine, l’autre en fin de semaine. Ou comment le concept de week-end redevient partiellement possible pour une profession lasse de devoir y renoncer. L’avenir de la restauration passera-t-il, ici aussi, par l’innovation ? C’est bien possible. « C’est un secteur encore très archaïque, témoigne anonymement une ancienne du secteur qui exhorte à une remise en question de la profession. Elle a connu des semaines de 70 heures payées au Smic, des heures supplémentaires non payées, des services de 300 couverts à trois serveurs, des journées passées "à courir non-stop pendant huit heures ». Le tout, dit-elle, « sans
beaucoup de bienveillance ni de reconnaissance ». Et les restaurateurs le savent et le disent,à mot couvert : ils paient, aussi,les abus de certains.
Source : DNA - 13 06 2022







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