La Cour des comptes appelle à définir « une stratégie nationale » pour l’alternance
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- 24 juin 2022
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Dans un rapport rendu public ce jeudi 23 juin, la Cour des comptes formule plusieurs critiques à l’égard du système de formation en alternance issu de la loi « avenir professionnel » de 2018. Conjuguée aux aides exceptionnelles à l’embauche instaurée pendant la crise sanitaire, la réforme s’est traduite par une hausse sans précédent des contrats d’apprentissage (+ 82 % entre 2016 et 2021) alors que le nombre de contrats de professionnalisation a baissé (- 55 % en 2020 et -5 % en 2021). Cependant, l’augmentation des effectifs d’apprentis s’est surtout concentrée dans l’enseignement supérieur et dans le secteur tertiaire. Cette évolution du profil des apprentis « ne correspond pas aux objectifs historiquement associés à la politique de l’apprentissage, qui jusqu’à présent visait à améliorer l’insertion professionnelle des jeunes présentant les plus bas niveaux de qualification, ceux qui rencontrent le plus de difficulté à s’insérer sur le marché du travail », pointe la Cour des comptes.
Des freins à l’entrée en apprentissage persistent
Malgré les efforts du gouvernement pour encourager l’accès à l’apprentissage, des freins persistent pour certains profils : les élèves qui sortent de classes de troisième et les jeunes décrocheurs, soulignent les auteurs du rapport. Dans ce contexte, ils suggèrent d’explorer plusieurs pistes : agir sur l’orientation au collège, sensibiliser les enseignants à l’apprentissage, renforcer l’accompagnement des jeunes pendant leur formation afin d’éviter les ruptures de contrats, et faciliter les passerelles entre voie scolaire et apprentissage pour sécuriser davantage les parcours.
Inadéquation de l’offre de formation avec les besoins
L’ouverture du marché de l’apprentissage et le nouveau mode de financement ont en parallèle entrainé un bouleversement de l’offre de formation. La réforme facilite certes la création de CFA et de sections d’apprentissage au sein des établissements existants. Mais ce développement de l’offre s’est davantage concrétisé dans les zones urbaines et dans le champ des formations tertiaires et supérieures de niveau bac +2, selon la Cour des comptes. Il y a là, selon les auteurs du rapport, « un risque que la réforme fragilise les formations peu attractives, pourtant nécessaires aux filières économiques, et entraîne une évolution de l’offre uniquement tirée par la demande des jeunes et la rentabilité des CFA. » Pour faire coïncider davantage l’offre de formation avec les besoins des entreprises et des territoires, les magistrats de la rue de Cambon, préconisent de confier aux Régions l’organisation d’une concertation annuelle avec les opérateurs de compétences et les branches professionnelles. L’enveloppe allouée aux Régions pour financer les investissements des CFA devraient par ailleurs être réévaluée en tenant compte de la hausse des effectifs d’apprentis.
Un déficit du système « préoccupant »
Les travaux de la Cour des comptes mettent surtout en lumière l’inflation des dépenses liées à l’apprentissage et le déficit financier de France compétences jugé « préoccupant ». En 2018, le total des dépenses liées à l’apprentissage était de 5,5 milliards d’euros. En 2021, il pourrait atteindre 11,3 milliards d’euros : 5,7 milliards pour les aides aux apprentis et aux employeurs, 0,3 milliards pour les enveloppes des Régions et 5,3 milliards pour le financement des formations en apprentissage. Les aides exceptionnelles à l’embauche instaurée en juillet 2020 et reconduite jusqu’à la fin 2022 ont permis de sécuriser le développement de l’alternance mais elles ont pesé sur les finances de l’État (630 millions d’euros en 2020 et 4 milliards d’euros en 2021). Dans son rapport, la Cour des comptes préconise d’y mettre fin ou de les moduler en fonction des objectifs de développement de l’apprentissage.
Un déficit qui impose des « mesures fortes »
Reste la question du déficit de France compétences (4,6 milliards d’euros en 2020, 3,2 milliards en 2021 et 5,9 milliards anticipés pour 2022). Une situation liée en partie à l’essor de l’alternance mais aussi au succès du compte personnel de formation (CPF) et à la baisse des recettes du fait de la diminution de la masse salariale. « L’ampleur inédite de cette dégradation financière impose de prendre des mesures fortes d’équilibrage du système », note la Cour des comptes qui pointe le manque d’analyse préalable à la réforme sur la question de la soutenabilité financière.
Les niveaux de prise en charge, un levier pour réduire les dépenses
Dans ce contexte, les magistrats de la Rue de Cambon préconisent d’agir sur plusieurs leviers. L’ajustement des niveaux de prise en charge des contrats à la réalité du coût de revient en fait partie, sachant que selon l’analyse réalisée par France compétences à partir des comptabilités analytiques des CFA, ces forfaits déterminés par les branches professionnelles seraient surévalués de 20 % par rapport au coût estimé des formations. Autres suggestions de la Cour des comptes pour réduire les dépenses : minorer, comme le prévoit la loi, les niveaux de prise en charge des apprentis formés au sein d’établissements bénéficiant de financements publics ou envisager un plafonnement des niveaux de prise en charge des contrats pour les diplômes de niveau 6 et plus.
Contributions conventionnelles, reste à charge ou hausse de la taxe
Des marges de manœuvre existent aussi sur le plan des ressources : mettre fin aux exonérations de la taxe d’apprentissage et au taux minoré dans certains départements, compléter le financement de l’apprentissage par des contributions conventionnelles ce que la loi ne prévoit pas aujourd’hui, voire instaurer un reste à charge pour les employeurs, augmenter la taxe d’apprentissage ou prévoir le versement d’une subvention annuelle de l’Etat…
Une stratégie nationale basée sur des priorités s’impose
Le choix des mesures à mettre en place pour sortir de l’impasse suppose « de définir une stratégie nationale de l’alternance ». Et compte tenu de la situation globale des finances publiques, « il est particulièrement important que cette stratégie nationale veille à l’efficience de la dépense publique en priorisant les situations où l’apprentissage apporte une réelle plus-value et en évitant les effets d’aubaine, qu’illustre le déport des contrats de professionnalisation vers l’apprentissage », souligne la Cour des comptes.
Les dix recommandations de la Cour des comptes sur la formation en alternance Financement de l’apprentissage : 1 – Supprimer les exonérations spécifiques d’assiette de taxe d’apprentissage non justifiées et mettre fin au taux modéré en vigueur dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ; 2 – Définir une stratégie nationale de l’alternance identifiant les objectifs prioritaires de développement et en déduire la stratégie de financement correspondante ; 3 – Redéfinir pour la rentrée 2022 les niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage en :
finissant les niveaux recommandés par France compétences au plus près du coût de revient des diplômes ;
imposant aux branches professionnelles de justifier tout écart à ce niveau ;
modulant à la baisse les niveaux de prise en charge correspondant à la formation d’apprentis accueillis au sein d’établissements bénéficiant de financements publics
en proportionnant le financement effectif des CFA à la durée de la formation et non à la durée du contrat d’apprentissage ;
4 – Mettre fin aux aides exceptionnelles versées aux employeurs d’alternants ;
Développement de l’entrée en apprentissage des populations cibles :
5 – Afin de favoriser les entrées en apprentissage des jeunes d’âge scolaire, adapter et développer les mesures qui leur sont destinées en matière d’information et d’orientation, d’accompagnement personnalisés et d’aides à la mobilité ;
6 – Conforter le rôle des établissements scolaires dans l’appui à l’orientation vers l’apprentissage, en incitant les enseignants à développer des relations avec les chambres consulaires et les CFA et à faciliter la promotion des métiers dans les collèges, notamment dans les établissements classés en REP ou REP+ ;
Adéquation et qualité de l’offre de formation :
7 – Charger les Régions d’organiser une concertation annuelle avec les opérateurs de compétences et les branches professionnelles concernant :
l’identification des filières de formation à soutenir en priorité par le biais de l’enveloppe régionale d’aménagement du territoire ;
le choix des projets d’investissement à cofinancer par les Régions et les opérateurs de compétences
8 – Ajuster les enveloppes régionales affectées à l’investissement en tenant compte de l’évolution des effectifs en apprentissage ; 9 – Mettre en place un plan d’action pour assurer le contrôle de la qualité pédagogique des formations en apprentissage ; Pilotage et gestion : 10 – Prévoir dans toutes les conventions liant l’État aux opérateurs de compétences des stipulations visant à uniformiser les procédures de gestion administrative et financière des contrats d’apprentissage, et à permettre l’interopérabilité avec les systèmes d’information des CFA
Source : Centre Inffo - 23 06 2022







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