Formation des chômeurs : le Sénat imprime sa marque dans le projet de loi Plein-emploi
- Administrateur

- 12 sept. 2023
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Le Sénat ne veut pas que l’État, via un marché national piloté par Pôle emploi, s’arroge une partie de la compétence en matière d’achat de formations à destination des chômeurs réalisées exclusivement à distance. Cette position a été confirmée par la haute Assemblée lors de l’examen du projet de loi "pour le plein-emploi" mi-juillet 2023. Les sénateurs ont, par ailleurs, adopté un amendement visant à limiter le financement par France compétences du prochain plan d’investissement dans les compétences.
Les sénateurs se sont appuyés sur les derniers travaux sur la formation professionnelle de leur délégation aux entreprises, pour modifier le projet de loi Sénat
Après son adoption par le Sénat, le projet de loi pour le plein-emploi, qui porte notamment la création de France Travail, doit être examiné par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale le 18 septembre. Il est acquis que le texte fera l’objet d’une CMP (commission mixte paritaire) afin que députés et sénateurs tentent de trouver un compromis sur les points faisant l’objet de divergences entre les deux chambres. Parmi ceux-ci figurent certaines dispositions de l’article 7 relatif à la formation des demandeurs d’emploi.
Les sénateurs ont en effet confirmé en séance publique leur décision prise lors de l’examen du projet de loi par la commission des Affaires sociales. Ils ont ainsi rejeté un amendement du gouvernement (n°597) prévoyant de réintroduire dans le texte la possibilité pour l’État de lancer un nouveau marché de FOAD (Formation ouverte et à distance) à destination des chômeurs et porté par Pôle emploi, comme cela a été le cas dans le cadre du PIC (Plan d’investissement dans les compétences). "Cet amendement […] sécurise l’activité de Pôle emploi en matière d’achat de formations ouvertes à distance. La modalité, créée durant la crise, mérite d’être assise juridiquement. Les régions conservent cette compétence : nous ne leur retirons rien", s’est défendu le ministre du Travail, Olivier Dussopt en assurant que "ce type de formation ne se substituerait pas aux programmes régionaux".
MARCHÉ NATIONAL DE FOAD
Sans toutefois être entendu par les sénateurs qui ont suivi l’avis défavorable de la rapporteure Pascale Gruny (LR, Aisne). "Un marché national des FOAD négligerait les besoins des territoires. On risque de mal prendre en compte l’offre régionale préexistante et de créer des doublons. Partons du terrain, quitte à mutualiser ensuite", a ainsi demandé la sénatrice. L’argument mis en avant par le gouvernement concernant la nature non-territorialisée des formations réalisées exclusivement à distance, n’a donc pas porté.
De même que le gage donné aux conseils régionaux par l’exécutif dans l’exposé des motifs de l’amendement : "les achats de formation de l’État [seront] réalisés après concertation avec les régions qui pourront elles-mêmes consolider les besoins identifiés au niveau local, et en prenant en compte des besoins identifiés par les Crefop". Le gouvernement promet aussi que la mise en place du marché national sur la FOAD ne comportera "pas de risque de redondance" avec les achats régionaux "car la demande est nettement supérieure au nombre de places totales proposées par les différents acheteurs de formation à distance".
OPPOSITION PERSISTANTE ENTRE L’ÉTAT ET LES RÉGIONS
Par ailleurs, l’article 7 prévoit, à compter de 2024, "le renouvellement du Plan d’investissement dans les compétences", selon l’expression du ministre du Travail. Lancé en 2018 et prolongé d’une année supplémentaire jusqu’à fin 2023 dans le cadre d’une contractualisation entre l’État et les régions, le PIC a atteint ses objectifs quantitatifs : doté initialement de près de 14 milliards d’euros sur le dernier quinquennat, ce programme multiforme a, comme prévu, permis de former ou d’accompagner plus de deux millions de demandeurs d’emploi ou de jeunes rencontrant des difficultés d’insertion.
Après la présidentielle de 2022, l’exécutif a décidé de conserver pour les années à venir une planification similaire des investissements financiers en collaboration avec les régions. Tout en continuant à ne pas accéder à la demande des conseils régionaux qui réclament l’attribution d’une compétence exclusive en matière de pilotage sur leurs territoires respectifs des politiques publiques en matière d’emploi et de formation professionnelle.
PRIORITÉ AUX FORMATIONS SUR LES MÉTIERS EN TENSION
En l’état, l’article 7 maintient le principe d’un conventionnement État-région déjà en vigueur. Il modifie en revanche le public cible du prochain PIC. Toujours "défini par l’État", le futur "programme national" de formation sera dorénavant appelé à "répondre à des besoins additionnels identifiés de qualification des personnes en recherche d’emploi en tenant compte des besoins des entreprises, notamment de celles qui rencontrent des difficultés particulières de recrutement". Alors que les jeunes et les chômeurs de longue durée étaient expressément ciblés dans le cadre du PIC première version, sans référence aux difficultés de recrutement.
Cet objectif a toutefois été intégré aux dispositifs financés par le PIC dans le cadre du déploiement du plan présenté par le gouvernement après le pic épidémique, en septembre 2020. Pour Olivier Dussopt, le prochain PIC permettra donc de mettre l’accent "sur les métiers en tension, les métiers en transition, les publics les plus éloignés de l’emploi et l’accompagnement d’un maximum de demandeurs d’emploi vers le retour à l’emploi".
FRANCE COMPÉTENCES SOUS TENSION BUDGÉTAIRE
Sur le volet financier, autre sujet de discorde entre le gouvernement et les sénateurs, la chambre haute a adopté un amendement (n°44 rect.) visant à limiter le financement du futur plan d’investissement par les ressources de France compétences. Créée fin 2018, cette institution nationale chargée de la régulation et du financement du système de formation professionnelle doit faire face à un déséquilibre structurel de son budget. Ce qui a imposé à ses administrateurs de recourir à de multiples reprises à des emprunts de court terme auprès des banques, et à l’État de débloquer plusieurs subventions exceptionnelles. Par exemple, pour la seule année 2022, l’État a dû apporter quelque 2,5 milliards d’euros supplémentaires pour abonder le budget de France compétences mis à mal par le succès quantitatif de la réforme de l’apprentissage et, dans une moindre mesure, par le recours accru au CPF (Compte personnel de formation) dans sa version monétisée depuis fin 2019.
Comme l’a proposé leur délégation aux entreprises, les sénateurs ont ainsi adopté cet amendement prévoyant que les ressources de France compétences affectées à l’État pour la formation des demandeurs d’emploi devraient à l’avenir l’être "dans la limite d’un montant fixé chaque année par le conseil d’administration" de l’établissement public. Pour mémoire, avec le soutien des voix du collège des personnalités qualifiées désignées par ses soins, l’État dispose de la majorité des voix au CA de France compétences.
Dans l’exposé des motifs de l’amendement, ses auteurs rappellent que pour boucler le financement du premier PIC, "le gouvernement avait fait le choix de ponctionner les fonds transitant par France compétences, et issus des contributions perçues auprès des entreprises via les fonds mutualisés. Or, ces fonds financent des actions absolument essentielles pour la formation initiale et continue des Français, en particulier l’apprentissage et les plans de développement des compétences au sein des entreprises. Mis sous tension budgétaire et fortement endettée, France compétences est aujourd’hui en difficulté, le robinet de l’emprunt commençant à se tarir, et les rallonges de l’État, à hauteur de 14 milliards d’euros depuis 2020, n’offrant pas de solution pérenne."
VOLONTÉ GOUVERNEMENTALE DE PLAFONNER LES DÉPENSES
Sans succès, le ministre du Travail a tenté d’expliquer que le gouvernement avait devancé la demande des sénateurs. Rappelant que la contribution de France compétences via un fonds de concours en loi de finances s’élevait à "1,6 milliard d’euros par an", Olivier Dussopt a souligné que ce montant a été abaissé à 800 millions d’euros dans la LFI 2023. "Cette division par deux atteste de la volonté du gouvernement de plafonner et de rebudgétiser les crédits consacrés à la formation", a-t-il poursuivi.
De plus, "ce fonds de concours [financé par France compétences] n’a pas empêché le développement de l’apprentissage. Les moyens qui y sont consacrés sont extrêmement importants : ils s’élèvent à plus de 16 milliards d’euros par an", a argumenté le ministre. En notant que le Parlement ne s’est par ailleurs jamais opposé aux votes de subventions d’équilibre de l’État à France compétences lors de l’examen des lois de finances. En outre, "il serait du reste quelque peu paradoxal qu’un organisme financé à la fois par des prélèvements fiscaux – la contribution unique à la formation professionnelle et à l’apprentissage (Cupfa) – et par une dotation versée par l’État sous forme de subvention, soit en capacité de limiter le fonds de concours dont bénéficie l’État", a observé Olivier Dussopt.
Et le ministre d’indiquer, pour conclure, ne pas imaginer que "la délibération d’un conseil d’administration, au sein duquel siège l’État, ainsi que d’autres acteurs, puisse s’imposer à la loi de finances votée par le Parlement". Ce sujet, parmi de nombreux autres, sera donc au menu des débats à l’Assemblée nationale, puis de la commission mixte paritaire qui suivra, avant l’adoption définitive du projet de loi prévue pour début octobre.
Source : AEF - 09 09 2023







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